Myanmar : Deux forces armées ciblent les ethnies Rohingya et Rakhine

Ces forces ont tué des civils, commis des incendies criminels et enrôlé illégalement des combattants dans l’État de Rakhine

(Bangkok) – Les forces de la junte du Myanmar ainsi que celles de l’Armée d’Arakan, un groupe armé de l’opposition, ont commis des exécutions extrajudiciaires de membres des ethnies Rohingya et Rakhine, et d’autres civils dans l’État de Rakhine, dans l’ouest du pays, au cours des derniers mois, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui ; ces forces ont aussi perpétré de nombreux incendies criminels. En outre, le recrutement illégal d’hommes et de garçons rohingyas par l’armée a attisé les tensions entre la communauté musulmane Rohingya et la communauté bouddhiste Rakhine.

En avril et mai 2024, l’armée de la junte, soutenue par certains groupes armés rohingyas alliés, ainsi que l’Armée d’Arakan qui avançait, ont commis des atrocités contre des civils. Le 17 mai, alors que l’Armée d’Arakan prenait le contrôle de bases militaires de la junte dans la commune de Buthidaung, ses forces ont bombardé, pillé et incendié des quartiers rohingyas de Buthidaung et de villages voisins, provoquant la fuite de milliers de Rohingyas. Les affrontements se sont depuis déplacés vers l’ouest, à Maungdaw, où les combats se sont récemment intensifiés ; des meurtres de Rohingyas et divers abus, y compris à l’encontre d’enfants, de femmes et de personnes âgées ont été signalés. Toutes les parties au conflit devraient mettre fin aux attaques illégales, cesser de recourir aux discours de haine et permettre un accès humanitaire sans entrave aux personnes dans le besoin.

« Les civils des ethnies Rohingya et Rakhine sont les principales victimes des atrocités commises par l’armée du Myanmar et par l’Armée d’Arakan, un groupe armé de l’opposition », a déclaré Elaine Pearson, directrice de la division Asie à Human Rights Watch. « Les deux camps ont recours à des discours de haine, des attaques contre des civils et des incendies criminels massifs pour chasser les gens de leurs maisons et de leurs villages, faisant planer le spectre d’un nettoyage ethnique. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 33 membres des ethnies Rohingya et Rakhine ayant survécu à des exactions ou été témoins d’abus, et a analysé des images satellite, des documents en accès libre, des vidéos et des photos privées, ainsi que des dossiers médicaux.

Depuis fin 2018, l’Armée d’Arakan, un groupe armé ethnique rakhine, est engagée dans un violent conflit l’opposant à l’armée du Myanmar pour saisir le contrôle de l’État de Rahkine. À la mi-novembre 2023, les hostilités entre les deux forces se sont intensifiées, mettant fin à un cessez-le-feu officieux conclu un an auparavant. Alors que l’Armée d’Arakan a rapidement étendu son contrôle sur l’État de Rakhine, l’armée de la junte a répondu par des attaques indiscriminées utilisant des hélicoptères de combat, des tirs d’artillerie et des assauts terrestres. De novembre 2023 à juillet 2024, les forces de la junte ont mené plus de 1 100 frappes aériennes dans tout le pays, dont plus d’un cinquième dans l’État de Rakhine, selon l’Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED).

En avril 2024, les combats se sont intensifiés dans les cantons à prédominance musulmane de Buthidaung et Maungdaw, où vivaient environ 240 000 Rohingyas. Selon des analyses d’images satellite, des témoignages et des rapports des médias locaux, les forces de la junte et des groupes armés rohingyas alliés ont mené des attaques incendiaires contre des villages ethniques rakhines à la périphérie de la ville de Buthidaung et dans les zones rakhines de la ville à la mi-avril.

Fin avril, l’Armée d’Arakan a riposté en incendiant des villages rohingyas à l’est de la ville de Buthidaung. Des images satellite et des données sur les anomalies thermiques analysées par Human Rights Watch révèlent que plus de 40 villages et hameaux de la commune de Buthidaung ont été partiellement ou totalement détruits par des incendies entre le 24 avril et le 21 mai. Les incendies ont détruit des milliers de structures dans toute la commune, y compris dans les quartiers à prédominance rohingya du centre-ville. Selon Human Rights Watch, le schéma de destruction causé par les incendies dans la région de Buthidaung suggère que toutes ces attaques étaient délibérées.

La prise de Buthidaung par l’Armée d’Arakan a déplacé environ 70 000 personnes, principalement des Rohingyas, qui ont fui vers l’ouest et le sud alors que de nouvelles attaques étaient menées. Le 18 mai, l’Armée d’Arakan a annoncé avoir pris le contrôle de toutes les bases de la junte à Buthidaung. Des images satellite indiquent que les incendies criminels se sont toutefois poursuivis dans la région jusqu’au 21 mai, suivant les traces des personnes qui fuyaient.

Les Rohingyas ont expliqué qu’ils se retrouvent coincés entre les forces de la junte et celles de l’Armée d’Arakan ; chacune des deux forces cherche à les contraindre à rejoindre leur camp. L’armée de la junte a recruté illégalement des milliers d’hommes et de garçons rohingyas dans l’État de Rakhine et dans les camps de réfugiés au Bangladesh, avec le soutien de groupes armés rohingyas, et a forcé des Rohingyas à participer à des manifestations simulées contre l’Armée d’Arakan. Ces mesures ont envenimé les relations entre les communautés Rohingyas et Rahkine, déclenchant la propagation de discours de haine et de fausses informations en ligne et hors ligne.

L’Armée d’Arakan a nié avoir attaqué des civils rohingyas, affirmant qu’elle avait donné au préalable un avertissement suffisant, et que les incendies des 17 et 18 mai résultaient de frappes aériennes de la junte et d’incendies criminels commis par des milices rohingyas. Dans une lettre du 5 août adressée à Human Rights Watch, l’Armée d’Arakan a déclaré : « Nous ne cautionnons ni ne participons à des attaques illégales ou à des incendies criminels contre des civils. »

Les lois de la guerre interdisent les attaques délibérées et indiscriminées contre des civils et contre des biens civils, tels que des habitations, des écoles et des hôpitaux. Les exécutions sommaires, les mutilations de corps, le recrutement d’enfants, les pillages et les incendies criminels sont tous interdits en tant que crimes de guerre. Les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils, doivent annuler les attaques s’il devient évident que la cible n’est pas un objectif militaire et doivent fournir des avertissements préalables efficaces en cas d’attaque, sauf si les circonstances ne le permettent pas.

La junte militaire du Myanmar et l’Armée d’Arakan devraient d’urgence autoriser des agences humanitaires à accéder à l’État de Rakhine, et permettre la tenue d’une enquête internationale indépendante, a déclaré Human Rights Watch.

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